jeudi 23 octobre 2008

L’imposture Sarkozy

Edito du Politis de cette semaine que je trouve sensas.


L’imposture Sarkozy
PAR Denis Sieffert
jeudi 23 octobre 2008


On ne saurait le contester : dans la crise, Nicolas Sarkozy fait preuve d’une grande habileté. Il est ces jours-ci l’homme de trois illusions. La première consiste à nous faire croire qu’il veut et surtout qu’il peut « refonder le capitalisme ». La deuxième, que le président de l’Union européenne – qu’il est pour deux mois encore – dicterait leur conduite aux États-Unis. La troisième, qu’il y aurait une cohérence entre un affichage antilibéral sur la scène internationale et sa politique économique et sociale en France. Le premier tour de passe-passe est une œuvre collective à laquelle participent tous ceux (Medef et dirigeants socialistes compris…) qui veulent nous faire croire que la crise résulte des excès de capitalistes encanaillés. Nous avons déjà eu l’occasion de le dire ici ces dernières semaines : le caractère immoral du système réside moins dans la pratique du « parachute doré » que dans le transfert des richesses, massif et silencieux, du travail vers le capital. Le capitalisme, autant qu’il nous en souvienne, est un rapport de production. C’est le rapport capital-travail. Ce n’est pas « le marché », et encore moins… la démocratie. Or, à ce rapport, il n’est évidemment pas question de toucher. L’idée de « refondation » suggère que l’on pourrait revenir à une sorte de pureté originelle du système en remontant le fil de l’histoire. Rejouer Bretton Woods. Ou, pour aller plus loin encore, réinventer l’étalon-or. C’est oublier que chacun de ces accords correspondait à des situations. Pour en arriver à Bretton Woods, en 1944, le capitalisme en est passé par la Deuxième Guerre mondiale et par le développement de l’industrie d’armement aux États-Unis… Fâcheux oubli ? Ou funeste perspective ?

La deuxième imposture est européenne. Le seul acte authentiquement antilibéral qui pourrait être convaincant, ce serait la remise en cause du traité de Lisbonne. Car ce texte, qui fait loi dans l’Europe actuelle, est d’essence ultralibérale. Au nom de la libre concurrence, il interdit toute harmonisation sociale ou fiscale. Il encourage les privatisations. Il déréglemente le travail. Le meilleur exemple, et le plus récent, est celui du temps de travail « plafonné », si l’on ose dire, à 65 heures hebdomadaires. Et le corollaire de cette Europe antisociale est le déni de démocratie qui caractérise toutes les étapes de sa construction. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy n’est-il pas le premier à souhaiter que l’Irlande revote jusqu’à ce que le « oui » l’emporte ? Comme il a contourné l’opinion publique française en se gardant de soumettre ledit traité à un nouveau référendum. Faute d’un tournant radical, il n’est donc pas sérieux de nous présenter le plan de sauvetage du système bancaire et la convocation d’un G8 à New York comme l’avènement d’un leadership européen original. En vérité, l’Europe de Nicolas Sarkozy ne fait, ces jours-ci, que se substituer à une Amérique momentanément aux abonnés absents, avec un président qui était calamiteux et qui n’est plus que fantomatique. L’Europe assure l’intérim en attendant la présidentielle. Mais, hormis quelques leçons de morale expéditive, c’est toujours bien du modèle américain dont on se rapproche à grands pas.

Pour s’en convaincre, il faut en venir à la troisième mystification. Celle-ci est hexagonale, mais elle est aussi européenne. Quel nom donner à une politique qui encourage toutes les privatisations, y compris celles des services publics, comme La Poste ou notre système de santé ? Comment qualifier la politique qui supprime massivement des postes d’enseignants, fait religion d’affaiblir la Fonction publique, rend inaccessible la retraite à taux plein pour mieux favoriser des systèmes assuranciels privés [1] ? Un seul adjectif convient : ultralibéral. Un ultralibéralisme en parfaite symbiose avec la politique européenne et la doctrine de l’administration Bush. Il y a une cohérence dans tout cela. Et c’est misère d’entendre le socialiste Manuel Valls dire qu’il y a « deux Sarkozy ». Il y en a deux si l’on croit à son affichage antilibéral de « refondateur du capitalisme ». Mais il n’y en a qu’un seul si l’on ne mord pas à l’hameçon. Tout de même, quelque chose est encourageant dans tout cela : si une partie de l’opinion est bluffée par l’agitation transatlantique de notre président, les salariés, eux, ne sont pas dupes. Ils se remobilisent de plus belle. En témoigne l’impressionnant succès de la manifestation d’enseignants, dimanche dernier. Le combat pour la défense de La Poste revient dans l’actualité, et les retraités ne sont pas en reste. La débauche de milliards pour sauver le système bancaire joue comme un aiguillon. Et notre société a les nerfs à fleur de peau.

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